jeudi 14 juin 2012

Le football irlandais a-t-il un avenir ?

(cet article est la version longue d'un billet posté sur le site d'Europe 1)

Quel avenir peut-on imaginer pour le football irlandais ? Il peut paraitre étrange de se poser la question après seulement un match de Championnat d'Europe, et alors que l'équipe peut encore (mathématiquement) se qualifier pour les quarts de finale. Il est pourtant largement temps d'y réfléchir.

Sauf miracle, le Championnat sera bientôt fini pour l'Irlande. Après avoir raté son entrée dans la compétition face à la Croatie (défaite 3-1), l'Irlande doit maintenant jouer contre l'Espagne puis l'Italie. Perdre un seul de ces matchs serait synonyme d'élimination, et il est fort probable que même un match nul et une victoire ne soient pas suffisant pour accrocher la deuxième place du groupe.

Il faudra alors se pencher sur les matchs de qualifications pour la Coupe du Monde 2014. L'Irlande est dans le groupe C, avec notamment l'Allemagne et la Suède. Quand on sait que seule la première place de chacun des neuf groupes est automatiquement qualificative, et que les huit meilleurs deuxièmes s'affronteront en barrages pour les quatre places restantes, l’optimisme n'est pas forcément de mise.

Se placer dans l'après-2014 n'est pas vraiment plus réjouissant, car il faudra faire sans Shay Given (actuellement 36 ans) et Damien Duff (33 ans), mais aussi probablement sans Robbie Keane (31 ans), Richard Dunne (32 ans) et John O'Shea (31 ans). Tous ces joueurs ont plus de 70 sélections en équipe nationale, et la relève se fait attendre.

Plusieurs facteurs fragilisent le football irlandais.

Il y a tout d'abord la concurrence des autres sports. Sur une ile de seulement quelques millions d'habitants (4.6 millions en République d'Irlande, 6.4 millions en comptant aussi l'Irlande du Nord), il sera toujours difficile de faire émerger suffisamment d'athlètes pour fournir plusieurs sports en joueurs de très haut niveau. La Nouvelle Zélande en est l'exemple parfait. A taille équivalente (4.4 millions d'habitants), le pays peut fournir un réservoir de talents aux All Blacks (en piochant aussi dans les iles voisines), mais derrière le rugby, les autres sports n'obtiennent que peu de résultats sur la scène internationale.

Le problème est qu'en Irlande, le sport numéro 1 est exclusivement irlandais. En effet, le premier sport au nombre de spectateurs est le football gaélique (34% du total tous sports confondus), devant un autre sport gaélique (le hurling, avec 23%), le football (16%) et le rugby (8%). Même si le football reste premier pour ce qui est des pratiquants, il manque clairement de visibilité.

Ce manque de visibilité est directement lié au niveau du championnat local. Alors que le rugby a su structurer ses provinces et garder les meilleurs joueurs en Irlande (avec succès, comme l'a encore prouvé Leinster en conservant son titre européen), le championnat irlandais de football est moribond, et tous les internationaux jouent à l'étranger (principalement en Angleterre).

En plus de six ans de vie à Dublin, je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui suive le championnat national, mais vous croiserez tous les jours des personnes portant le maillot de Manchester United, de Liverpool ou encore du Celtic de Glasgow.

Le dernier joueur basé en Irlande lors de son appel en sélection est le gardien Brian Murphy en 2009, mais il n'avait pas joué. La dernière véritable sélection remonte donc à Joe Gamble et ses deux matchs amicaux en équipe d'Irlande en 2007. Avant lui, il faut remonter à Glen Crowe en 2002 pour retrouver un titulaire de l'équipe nationale jouant dans le championnat irlandais.

Les joueurs, même moyens, préfèrent donc traverser la mer en direction de l'Angleterre, quitte à se retrouver dans des clubs de seconde zone. Sur les 23 joueurs de la sélection pour l'Euro 2012, 18 sont en Angleterre, dans des clubs tels que Everton (7e de Premier League), Fulham (9e), Stoke City (14e) et Aston Villa (16e), mais aussi Hull City (8e de la deuxième division anglaise), Leicester City (9e de D2) ou Milwall (16e de D2).

Comment, dans ces conditions, faire émerger de nouveaux talents ?

Une première solution serait de créer un grand club à Dublin, et de le faire jouer dans le système anglais. La situation ne serait pas inédite. C'est le cas pour six clubs gallois (Swansea City, Cardiff City, Newport County, Wrexham, Colwyn Bay et Merthyr Town), et il y a régulièrement des rumeurs concernant les clubs de Glasgow (Celtic et Rangers), étant donné le niveau en baisse du championnat écossais. D'un point de vue sportif, le potentiel est là, puisque six des douze clubs de première division irlandaise sont à Dublin ou dans sa banlieue proche. A l'exception de 1997, 2005 et 2007, tous les championnats depuis 1995 ont d'ailleurs été remportés par l'un de ces clubs.

Une autre solution serait de regrouper les championnats irlandais, écossais et gallois pour créer une "ligue celte" comme cela a été fait pour le rugby. Les négociations seraient sans doute difficiles, mais pas nécessairement impossibles, tout le monde ayant à y gagner.

Dans tous les cas, il faut faire quelque chose si l'Irlande veut régulièrement se qualifier pour les compétitions internationales, et surtout pour avoir une chance de les gagner. A ma connaissance, aucune équipe n'a gagné le Championnat d'Europe ou la Coupe du Monde en n'ayant aucun joueur dans le championnat national, qu'il s'agisse de grandes équipes (France '98, Brésil '02) ou des victoires surprises comme la Grèce en 2004 (13 joueurs sur 23 évoluaient dans le championnat grec) ou le Danemark en 1992 (13 joueurs sur 20 dans le championnat danois).

mercredi 13 juin 2012

Supporters irlandais

Non, ce billet ne va pas vous donner les moindres détails concernant le supporter irlandais arrêté après le premier match de l'Irlande pour sa conduite en état d'ivresse, ni vous faire partager les aventures de Eamon Keegan et sa passion (elle aussi alcoolisée) pour les seins nus de ses voisines croates dans les tribunes au cours de ce même match. Les tabloids s'en chargent déjà avec un plaisir non dissimulé.

En attendant un article plus fourni sur l'Irlande et le Championnat d'Europe de football, je voulais simplement partager avec vous quelques instantanés de l'ambiance à Dublin. Comme pour chaque évènement sportif, le soutien est visible. Il restera fort tant que l'Irlande sera en lice, peu importe les résultats.

Si vous utilisez Instagram, vous pouvez m'y suivre. Mon identifiant est dperrin, comme sur Twitter (plateforme sur laquelle je live-tweet assidument pendant la compétition, notamment pour les matchs de l'Irlande).


Harry Byrnes
Pub irlandais décoré aux couleurs de l'Irlande (Harry Byrne's à Clontarf, Dublin)


Pâtisserie pro-irlandaise
Gâteaux tricolores dans un supermarché de Dublin


Gourmandise
Je n'ai pas pu résister, et je ne le regrette pas


Voiture décorée
Les drapeaux flottent aussi sur les voitures

vendredi 1 juin 2012

Le vrai problème du salaire minimum

Ce matin Samuel Laurent, journaliste au Monde.fr, a partagé sur Twitter un tableau de données sur l'évolution du salaire minimum et des prix (SMIC horaire brut 1990-2012 et inflation 1990-2010).

Ce tableau a rapidement attiré beaucoup de réponses. Pour mieux comparer l'évolution des deux chiffres, j'ai proposé de prendre 1990 en base 100 pour les deux, et cette information a depuis été ajoutée dans le tableau initial.

La conversation se poursuit en ce moment, et il y a toujours de nombreuses suggestions, comme par exemple prendre en compte le temps de travail payé effectif (la période couvrant notamment le passage de 39 à 35 heures et diverses réformes de heures supplémentaires) ou d'indiquer l'évolution des prix pour les dépenses contraintes (loyer, énergie, alimentation).

Toutes ses suggestions sont intéressantes, et je vous conseille de garder un oeil sur ce tableau, car il promet de devenir de plus en plus informatif.

Le contexte derrière ce tableau est bien entendu les discussions actuelles autour de l'augmentation future du salaire minimum suite à l'élection de François Hollande. C'est un sujet sensible, car le pouvoir d'achat est une préoccupation majeure des Français.

Pourtant, le vrai problème est ailleurs.
Plus que le montant, la principale source de préoccupation devrait être la proportion de personnes devant se contenter de ce salaire minimum.

Comme je le fais souvent sur ce blog, regardons ce qu'il se passe ici, en Irlande.

Le salaire minimum est à peu près équivalent. En 2007, il était de 1403 euros en Irlande, contre 1258 en France, mais en prenant en compte la différence de niveau de vie, la valeur ajustée était quasiment la même (1150 en France, 1141 en Irlande). Pour plus de détails sur ces données Eurostat, vous pouvez regarder ce PDF. A titre informatif, la valeur brute est désormais 1462 euros en Irlande et 1398 en France. Je n'ai pas les valeurs ajustées, mais avec la différence d'inflation liée à la crise, je suppose qu'elles sont restées très proches.

La plus grande différence est qu'en Irlande (chiffres 2007 toujours), seulement 3% des employés doivent se contenter de ce salaire minimum. Si on prend en compte les 2.2% qui sont en dessous, on a donc près de 95% de la population au travail qui gagne plus que le salaire minimum. En France, la même année, 16.8% des employés sont au SMIC.

La situation n'est pourtant pas irréversible. En 1999, 21% des travailleurs irlandais touchaient le salaire minimum.

La vraie question pour le nouveau gouvernement ne devrait donc pas être de savoir de combien augmenter le salaire minimum (puisque nous savons tous que la hausse sera faible par rapport aux difficultés réelles des personnes concernées), mais plutôt de mettre en place une politique économique qui mette fin à cette pyramide des salaires tassée vers le bas.