Comme je le suggérais dans mon précédent post, je pense qu'une des nouveautés de ce débat présidentiel version 2012 est la vérification en direct des chiffres donnés par les candidats. Étant donné leur débit, c'est un bel exploit : pendant le débat Nicolas Sarkozy et François Hollande ont respectivement partagé 92 et 45 chiffres. Puisque leur temps de parole a été de 72 minutes et quelques secondes pour chaque, cela donne un chiffre toutes les 47 secondes pour le premier et un toutes les 1 minute et 36 secondes pour le second !
Plusieurs médias s'y sont collés. J'ai par exemple suivi le flux Twitter du Véritomètre de i-Télé et OWNI. Pour presque tous les chiffres annoncés, quelques minutes au plus après la déclaration, on pouvait lire un verdict (correct, incorrect ou imprécis) avec un lien vers le chiffre exact et la source de cette information. Très utile !
D'autres médias ont fait un effort similaire, que ce soit en direct ou après le débat. La liste est relativement longue, mais on peut par exemple citer les Décodeurs (Le Monde), le Détecteur de Mensonges (Journal du Dimanche) ou encore le Contrôle Technique (Rue89).
Mon principal reproche est que seule une minorité d'électeurs vont avoir accès à ses vérifications et que, paradoxalement, un bon nombre d'entre eux sont ceux qui se seraient donnés la peine d'aller chercher les bons chiffres.
Ce n'est bien sûr pas de la faute des journalistes, mais il serait quand même judicieux de trouver une solution pour faciliter l'accès du plus grand nombre à ces informations. Une possibilité serait d'insérer en bas d'écran la validation des chiffres au fur et à mesure du débat. C'est une première étape, qui ne peut toutefois pas donner satisfaction sur le long terme. Tout d'abord parce que les chiffres défilent trop vite pour que l'affichage puisse suivre. Un décalage de quelques minutes pourraient suffire à déstabiliser les téléspectateurs. L'autre problème est que cela ne met pas l'homme ou la femme politique face à ses contradictions.
Prenons un autre exemple, et le débat entre Nathalie Kosciusko-Morizet et Jérôme Cahuzac lors de l'émission Mots Croisés du 30 avril. Je pense qu'en regardant avec un œil neutre, on peut dire que la première a remporté le débat (au minimum en terme de perception) mais je ne suis pas certain que la bataille des chiffres ne pencherait pas dans l'autre sens. Ce qui m'a surtout frappé, c'est que Nathalie Kosciusko-Morizet a plusieurs fois fait référence à la réforme de la carte militaire et aux économies que cela a permis. Pourtant, selon elle, la réduction des dépenses n'est que (de mémoire) de 350 millions d'euros. Ce n'est pas négligeable, bien sûr, mais une des grandes spécialités de la campagne, à droite, a été de moquer toute proposition de la gauche qui ne faisait pas économiser au minimum plusieurs milliards, sur le mode du "holaaa, ce n'est pas avec ça que vous allez réduire les déficits". Je m'étonne que personne (ni Jérôme Cahuzac ni les journalistes) n'aient fait une remarque là-dessus. Cela aurait pourtant pu changer le cours du débat.
Je pense que cela est dû à une véritable faiblesse du direct, qui permet de faire croire à peu près tout et n'importe quoi, pourvu qu'on y mette le ton juste. Pourquoi ne pas changer un peu ces règles ?
Imaginons un débat divisé entre plusieurs thèmes, pour lesquels chaque candidat a un temps de parole fixe, par exemple 5 minutes, que les journalistes font fermement respecter (pas comme hier où ils se faisaient régulièrement marcher sur les pieds). Ce débat n'est pas diffusé en direct, mais est enregistré, par exemple la veille de la diffusion.
Dès l'enregistrement terminé, le "fact checking" commence, et tout est vérifié et sourcé par des journalistes dont le choix a été approuvé par les deux candidats (pour qu'il n'y ait pas de soupçons de favoritisme envers l'un ou l'autre). Le jour de la diffusion, les candidats sont présents sur le plateau pour une émission en direct. La vidéo (sans coupure) de chaque thème est diffusé individuellement. Après chaque vidéo, les journalistes font le résumé de leur vérification des propos (3 minutes environ), et redonnent la parole aux deux candidats pour répondre aux remarques et poursuivre le débat, cette fois-ci en direct donc, avec par exemple une limite de 3 minutes chacun. On aurait donc 20 minutes par thème avec "fact checking" inclus. Qui dit mieux ?
On traite cinq thèmes par émission (pour une durée totale d'environ deux heures en comptant de brèves introduction et conclusion), et on répète le procédé à intervalles réguliers (par exemple une fois par trimestre en "période creuse", une fois par mois en période pré-électorale, et une ou deux fois entre les deux tours de la présidentielle).
Bien sûr, pour éviter tout soupçon de montage défavorable, l'intégralité de la partie enregistrée serait mise en ligne et accessible dès la fin du direct sur le site de l'émission, qui listerait aussi les sources utilisées par les journalistes.
Il est évident qu'un tel dispositif est contraignant, mais vu tout ce qui était mis en place pour le débat d'hier (aussi bien pour l'émission elle-même que pour tout le dispositif autour, avant et après), cela ne me semble pas irréalisable.
Il y a deux gros risques avec ce genre d'émission. Le premier est la langue de bois, la peur de se retrouver pris en flagrant délit de mauvaise foi (ou de mauvaise maitrise des dossiers). Pour ne pas être pris en défaut, les politiques ne citeraient plus aucun chiffre, et tenteraient de rester le plus vague possible. Ce serait envisageable dans un face-à-face avec un journaliste, mais dans un débat, je pense que l'adversaire arriverait à débloquer la situation en mettant l'accent sur le manque de clarté de celui ne venant pas étayer son propos.
L'autre risque est que la politique en sorte diminuée, du fait des approximations et petits arrangements avec la vérité. Je ne suis pas inquiet, au contraire. Les scores du Véritomètre montrent que la situation actuelle n'est pas désespérée, et mettre l'accent sur la vérification systématique des propos ne peut que favoriser l'amélioration du contenu des déclarations. Il y aurait sans doute des moments difficiles à passer pour certains lors des premières émissions, mais si un tel système était mis en place suffisamment loin des échéances électorales, je suis certain que tout le monde prendrait le pli et aurait le temps de regagner tout crédit temporairement perdu.
Alors, on s'y jette ?
Avouez que cela nous donnerait surement une belle campagne en 2017 !
Plusieurs médias s'y sont collés. J'ai par exemple suivi le flux Twitter du Véritomètre de i-Télé et OWNI. Pour presque tous les chiffres annoncés, quelques minutes au plus après la déclaration, on pouvait lire un verdict (correct, incorrect ou imprécis) avec un lien vers le chiffre exact et la source de cette information. Très utile !
D'autres médias ont fait un effort similaire, que ce soit en direct ou après le débat. La liste est relativement longue, mais on peut par exemple citer les Décodeurs (Le Monde), le Détecteur de Mensonges (Journal du Dimanche) ou encore le Contrôle Technique (Rue89).
Mon principal reproche est que seule une minorité d'électeurs vont avoir accès à ses vérifications et que, paradoxalement, un bon nombre d'entre eux sont ceux qui se seraient donnés la peine d'aller chercher les bons chiffres.
Ce n'est bien sûr pas de la faute des journalistes, mais il serait quand même judicieux de trouver une solution pour faciliter l'accès du plus grand nombre à ces informations. Une possibilité serait d'insérer en bas d'écran la validation des chiffres au fur et à mesure du débat. C'est une première étape, qui ne peut toutefois pas donner satisfaction sur le long terme. Tout d'abord parce que les chiffres défilent trop vite pour que l'affichage puisse suivre. Un décalage de quelques minutes pourraient suffire à déstabiliser les téléspectateurs. L'autre problème est que cela ne met pas l'homme ou la femme politique face à ses contradictions.
Prenons un autre exemple, et le débat entre Nathalie Kosciusko-Morizet et Jérôme Cahuzac lors de l'émission Mots Croisés du 30 avril. Je pense qu'en regardant avec un œil neutre, on peut dire que la première a remporté le débat (au minimum en terme de perception) mais je ne suis pas certain que la bataille des chiffres ne pencherait pas dans l'autre sens. Ce qui m'a surtout frappé, c'est que Nathalie Kosciusko-Morizet a plusieurs fois fait référence à la réforme de la carte militaire et aux économies que cela a permis. Pourtant, selon elle, la réduction des dépenses n'est que (de mémoire) de 350 millions d'euros. Ce n'est pas négligeable, bien sûr, mais une des grandes spécialités de la campagne, à droite, a été de moquer toute proposition de la gauche qui ne faisait pas économiser au minimum plusieurs milliards, sur le mode du "holaaa, ce n'est pas avec ça que vous allez réduire les déficits". Je m'étonne que personne (ni Jérôme Cahuzac ni les journalistes) n'aient fait une remarque là-dessus. Cela aurait pourtant pu changer le cours du débat.
Je pense que cela est dû à une véritable faiblesse du direct, qui permet de faire croire à peu près tout et n'importe quoi, pourvu qu'on y mette le ton juste. Pourquoi ne pas changer un peu ces règles ?
Imaginons un débat divisé entre plusieurs thèmes, pour lesquels chaque candidat a un temps de parole fixe, par exemple 5 minutes, que les journalistes font fermement respecter (pas comme hier où ils se faisaient régulièrement marcher sur les pieds). Ce débat n'est pas diffusé en direct, mais est enregistré, par exemple la veille de la diffusion.
Dès l'enregistrement terminé, le "fact checking" commence, et tout est vérifié et sourcé par des journalistes dont le choix a été approuvé par les deux candidats (pour qu'il n'y ait pas de soupçons de favoritisme envers l'un ou l'autre). Le jour de la diffusion, les candidats sont présents sur le plateau pour une émission en direct. La vidéo (sans coupure) de chaque thème est diffusé individuellement. Après chaque vidéo, les journalistes font le résumé de leur vérification des propos (3 minutes environ), et redonnent la parole aux deux candidats pour répondre aux remarques et poursuivre le débat, cette fois-ci en direct donc, avec par exemple une limite de 3 minutes chacun. On aurait donc 20 minutes par thème avec "fact checking" inclus. Qui dit mieux ?
On traite cinq thèmes par émission (pour une durée totale d'environ deux heures en comptant de brèves introduction et conclusion), et on répète le procédé à intervalles réguliers (par exemple une fois par trimestre en "période creuse", une fois par mois en période pré-électorale, et une ou deux fois entre les deux tours de la présidentielle).
Bien sûr, pour éviter tout soupçon de montage défavorable, l'intégralité de la partie enregistrée serait mise en ligne et accessible dès la fin du direct sur le site de l'émission, qui listerait aussi les sources utilisées par les journalistes.
Il est évident qu'un tel dispositif est contraignant, mais vu tout ce qui était mis en place pour le débat d'hier (aussi bien pour l'émission elle-même que pour tout le dispositif autour, avant et après), cela ne me semble pas irréalisable.
Il y a deux gros risques avec ce genre d'émission. Le premier est la langue de bois, la peur de se retrouver pris en flagrant délit de mauvaise foi (ou de mauvaise maitrise des dossiers). Pour ne pas être pris en défaut, les politiques ne citeraient plus aucun chiffre, et tenteraient de rester le plus vague possible. Ce serait envisageable dans un face-à-face avec un journaliste, mais dans un débat, je pense que l'adversaire arriverait à débloquer la situation en mettant l'accent sur le manque de clarté de celui ne venant pas étayer son propos.
L'autre risque est que la politique en sorte diminuée, du fait des approximations et petits arrangements avec la vérité. Je ne suis pas inquiet, au contraire. Les scores du Véritomètre montrent que la situation actuelle n'est pas désespérée, et mettre l'accent sur la vérification systématique des propos ne peut que favoriser l'amélioration du contenu des déclarations. Il y aurait sans doute des moments difficiles à passer pour certains lors des premières émissions, mais si un tel système était mis en place suffisamment loin des échéances électorales, je suis certain que tout le monde prendrait le pli et aurait le temps de regagner tout crédit temporairement perdu.
Alors, on s'y jette ?
Avouez que cela nous donnerait surement une belle campagne en 2017 !
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